Page:Maupassant - Œuvres posthumes, I, OC, Conard, 1910.djvu/41

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Des années encore passèrent. Personne ne découpait plus ; mais par suite d’une vieille habitude invétérée, celle qu’on appelait toujours galamment la «belle Madame Anserre» cherchait de l’œil, à chaque soirée, un dévoué qui prît le couteau, et chaque fois le même mouvement se produisait autour d’elle : une fuite générale, habile, pleine de manœuvres combinées et savantes, pour éviter l’offre qui lui venait aux lèvres. Or, voilà qu’un soir on présenta chez elle un tout jeune homme, un innocent et un ignorant. Il ne connaissait pas le mystère de la brioche ; aussi lorsque parut le gâteau, lorsque chacun s’enfuit, lorsque Mme Anserre prit des mains du valet le plateau et la pâtisserie, il resta tranquillement près d’elle. Elle crut peut-être qu’il savait ; elle sourit, et, d’une VOIX émue : — Voulez-vous, cher monsieur, être assez aimable pour découper cette brioche ? II s’empressa, ôta ses gants, ravi de l’honneur. — Mais comment donc, madame, avec le plus grand plaisir. Au loin, dans les coins de la galerie, dans l’encadrement de la porte ouverte sur le salon des laboureurs, des têtes stupéfaites regardaient. Puis, lorsqu’on vit que le nouveau venu découpait sans hésitation, on se rapprocha vivement. Un vieux poète plaisant frappa sur l’épaule du néophyte : — Bravo ! jeune homme, lui dit-il à l’oreille. On le considérait curieusement. L’époux lui-même parut surpris. Quant au jeune homme, il s’étonnait de la considération qu’on semblait soudain lui montrer, il ne comprenait point surtout les gracieusetés marquées, la faveur évidente et l’espèce de reconnaissance