Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/162

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oncles, cousins ou beaux-frères des rois, les mêmes grandes dames françaises ou cosmopolites qui mettent, d'ordinaire, des distances incommensurables entre eux et les simples bourgeois, qui forment pendant l'hiver, à Cannes, des groupes aristocratiques impénétrables que peut seule entrouvrir l'hypocrisie anglaise, ou les immenses fortunes américaines et juives, se précipitent, aussitôt les chaleurs venues, dans les bruyants casinos d'Aix avec la seule envie, dirait-on, de s'encanailler librement.

Le comte de Lucette racontait avec un ton jovial et dédaigneux d'homme bien élevé qui fait les honneurs d'un mauvais lieu, qui s'y plaît, se moque de lui-même autant que des autres, et accentue la peinture pour la rendre plus saisissante. Sa petite figure grasse, rasée, que deux bouts de favoris coupés net à la hauteur des oreilles rendaient plus large encore, avait la mimique gaie, vive, un peu forcée de ces amateurs bien nés qui ont de l'esprit dans les salons, et il citait des faits, narrait des anecdotes, nommait des femmes, dénonçait avec bienveillance des scandales d'amour ou de jeu. Mariolle l'écoutait avec un sourire sur la bouche, l'approuvait par moments, avait l'air de trouver exquis ce bavardage bien préparé, mais son oeil bleu semblait terni, voilé par une pensée péniblement chassée.

Son ami s'étant tu, un silence eut lieu, et il dit, comme s'il eût oublié Aix et tous ces gens évoqués:

- As-tu su la dernière crasse qu'elle m'a faite?

L'autre, fort surpris, demanda:

- Quelle crasse? Qui donc

- Henriette.

- Ah! ta ci-devant bien-aimée?

- Oui.

- Non, je ne sais pas. Raconte.