Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/165

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mois après sa naissance, sans passions vives et sans entraînements irrésistibles, il garda longtemps un coeur sans attaches, attiré seulement par les plaisirs, le cercle, toutes les gaietés de Paris, et encore par un certain goût pour les tableaux et les objets d'art. Ce goût lui était venu d'abord parce qu'un de ses amis collectionnait, aussi parce qu'il aimait par instinct les choses rares et fines, ensuite parce qu'il venait d'acheter une jolie maison avenue Montaigne qu'il fallait meubler et orner, enfin parce qu'il n'avait rien à faire. il lui suffit de quelques mois et de beaucoup d'argent pour devenir ce qu'on appelle un amateur éclairé, un de ces hommes qui s'y connaissent parce qu'ils sont riches, et qui font éclore les peintres à la mode parce qu'ils les paient. Comme tant d'autres, à force d'acheter des toiles et des bibelots, il conquit le droit d'avoir une opinion; il fut considéré et consulté; il encouragea des tendances et méconnut des mérites; il fut un de ceux qui font s'emplir chaque année le Palais de l'industrie de cette peinture de bazar qu'on médaille par complaisance afin d'en rendre l'écoulement facile dans les galeries des amateurs d'art.

Puis il perdit son ardeur, ayant reconnu que tout le monde se trompe en cela comme en autre chose, que personne ne s'y connaît et que l'opinion change avec la mode, en ce qui touche l'esthétique comme en ce qui touche la toilette.

De plus en plus indifférent et sceptique, il se cantonna, en vrai Parisien de trente-cinq ans, dans les plaisirs ordinaires des hommes sur le point de devenir de vieux garçons. Il raisonnait son affaire, voyait clair dans son existence, faisait la part raisonnable à chaque distraction, jeu, chevaux, théâtre, monde et le reste.