Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/188

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— Et les gens de La Bouille, MM. le curé et le docteur Paturel, est-ce qu’ils peuvent traverser l’eau sans péril au milieu des glaçons qui flottent ?

— Oui, oui, madame la comtesse : le père Pichard est un malin qui ne craint pas les banquises. Et puis il a un gros bateau d’hiver où il fait passer une vache ou un cheval à l’occasion.

— Bon, dit-elle. Faites descendre mon petit Henri.

Elle se rassit devant sa table, et ouvrit un livre.

C’étaient Les Contemplations et elle tomba, par hasard, sur ces vers, fin de La Fête chez Thérèse :

La nuit vint ; tout se tut ; les flambeaux s’éteignirent ;
Dans les bois assombris les sources se plaignirent ;
Le rossignol, caché dans son nid ténébreux,
Chanta comme un poète et comme un amoureux.
Chacun se dispersa sous les profonds feuillages,
Les folles en riant entraînèrent les sages ;
L’amante s’en alla dans l’ombre avec l’amant ;
Et, troublés comme on l’est en songe, vaguement,
Ils sentaient par degrés se mêler à leur âme,
A leurs discours secrets, à leurs regards de flamme,
A leur cœur, à leurs sens, à leur molle raison,
Le clair de lune bleu qui baignait l’horizon.

Le cœur de la comtesse se serra à la pensée qu’il y avait de ces nuits-là, et d’autres comme celle-ci. Pourquoi ces contrastes, cette douceur charmeuse et cette férocité de la nature ?

La porte s’ouvrit, elle se leva, et une jeune bonne, une belle Normande à la chair fraîche, fit entrer, en le tenant par la main, un petit garçon de quatre ans que ses cheveux bouclés et blonds couronnaient comme une lumière frisée sous le reflet des lampes.

— Vous me le laisserez jusqu’à l’arrivée de ces messieurs, dit la comtesse.

Et quand la femme de chambre fut partie, elle assit