Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/189

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sur ses genoux l’enfant et le regarda dans les yeux. Ils se sourirent de ce sourire unique, inexprimable, qui échange de l’amour entre la maman et le petit, de cet amour qui est le seul indestructible, qui n’a point d’égal et de rival.

Puis, ouvrant ses bras, elle lui prit la tête et l’embrassa. Elle l’embrassa sur les cheveux, sur les paupières, sur la bouche, en frissonnant, de la nuque au bout des doigts, de cette joie délicieuse dont tressaillent les fibres des vraies mères.

Puis elle le berça tandis qu’il la tenait par le cou. Il demanda de sa voix fine :

— Dis, maman, est-ce que papa reviendra bientôt ?

Elle le saisit, le serra contre elle comme pour le défendre, le garantir de ce danger monstrueux et lointain d’une guerre qui pourrait le réclamer à son tour. Et elle murmura, en le baisant encore :

— Oui, mon chéri, dans quelque temps. Oh ! mon amour, quelle chance que tu sois tout petit ! Ils ne peuvent pas te prendre encore, les misérables.

De quels misérables voulait-elle parler ? Elle n’aurait pas su le dire.

Mais voilà que l’enfant, dont l’oreille était très fine, distingua au loin dans la nuit un léger bruit de clochette.

— V’là g’and-papa ! dit-il.

— Où ça vois-tu grand-papa ? dit la maman.

— C’est le guerlot de son dada.

Elle entendit aussi et, une inquiétude de moins au cœur, elle allongea les jambes, comme soulagée, reposée soudain.

Ils écoutaient tous les deux maintenant le tintement plus distinct et les coups de fouet du cocher retentissant sur la neige qui annonçaient leur arrivée.