Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/25

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brun rayé de jaune, porté par des ailes transparentes, et démesurément petites. Patissot l'observait avec un profond intérêt, quand quelque chose remua sous ses pieds. Il eut peur d'abord, et sauta de côté ; puis, se penchant avec précaution, il aperçut une grenouille, grosse comme une noisette, qui faisait des bonds énormes.

Il se baissa pour la prendre, mais elle lui glissa dans les mains. Alors, avec des précautions infinies, il se traîna vers elle, sur les genoux, avançant tout doucement, tandis que son sac, sur son dos, semblait une carapace énorme et lui donnait l'air d'une grosse tortue en marche. Quand il fut près de l'endroit où la bestiole s'était arrêtée, il prit ses mesures, jeta ses deux mains en avant, tomba le nez dans le gazon, se releva avec deux poignées de terre et point de grenouille. Il eut beau chercher, il ne la retrouva pas.

Dès qu'il se fut remis debout, il aperçut là-bas très loin, deux personnes qui venaient vers lui en faisant des signes. Une femme agitait son ombrelle, et un homme, en manches de chemise, portait sa redingote sur son bras. Puis la femme se mit à courir, appelant : "Monsieur ! monsieur !" Il s'essuya le front et répondit : "Madame ! - Monsieur, nous sommes perdus, tout à fait perdus !" Une pudeur l'empêcha de faire le même aveu et il affirma gravement : "Vous êtes sur la route de Versailles. - Comment, sur la route de Versailles ? mais nous allons à Rueil." Il se troubla, puis répondit néanmoins effrontément : "Madame, je vais vous montrer, avec ma carte d'état-major, que vous êtes bien sur la route de Versailles."