Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/62

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Le lendemain, je la retrouvai à la même place ; alors, comme j'étais timide, je fis un salut seulement ; elle y répondit par un petit sourire ; et, le jour d'après, je l'abordai.

Elle s'appelait Victorine, et elle travaillait à la couture dans un magasin de confections. Je sentis bien tout de suite que mon cœur était pris.

Je lui dis : "Mademoiselle, il me semble que je ne pourrai plus vivre loin de vous." Elle baissa les yeux sans répondre ; alors je lui saisis la main, et je sentis qu'elle serrait la mienne. J'étais pincé, Monsieur ; mais je ne savais comment m'y prendre, à cause de mon frère. Ma foi, je me décidais à tout lui dire, quand il ouvrit la bouche le premier. Il était amoureux de son côté. Alors il fut convenu qu'on prendrait un autre logement, mais qu'on ne soufflerait mot à notre bon oncle, qui adresserait toujours ses lettres à mon domicile. Ainsi fut fait ; et, huit jours plus tard, Victorine pendait la crémaillère chez moi. On y fit un petit dîner où mon frère amena sa connaissance, et, le soir, quand mon amie eut tout rangé, nous prîmes définitivement possession de notre logis...

Nous dormions peut-être depuis une heure, quand un violent coup de sonnette m'éveilla. Je regarde la pendule : trois heures du matin. Je passe une culotte, et je me précipite vers la porte, en me disant : "C'est un malheur, bien sûr..." C'était mon oncle, Monsieur... Il avait sa douillette de voyage, et sa valise à la main :

"Oui, c'est moi mon garçon ; je viens te surprendre, et passer quelques jours à Paris. Monseigneur m'a donné congé."

Il m'embrasse sur les deux joues, entre, ferme la