Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/71

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rivière adorable, ombragé par de grands arbres, qui formaient au-dessus une sorte de voûte. Le petit bras se déroulait, tournait, zigzaguait à gauche, à droite, découvrant sans cesse des horizons nouveaux, de larges prairies d'un côté, et, de l'autre, une colline toute peuplée de chalets. On passa devant un établissement de bains presque enseveli dans la verdure, un coin charmant et champêtre, où des messieurs en gants frais, auprès de dames enguirlandées, mettaient toute la gaucherie ridicule des élégants à la campagne.

Elle poussa un cri de joie.

"Nous nous baignerons là, tantôt !"

Puis, plus loin, dans une sorte de baie, elle voulut s'arrêter :

"Viens ici, mon gros, tout près de moi."

Elle lui passa les bras au cou et, la tête appuyée sur l'épaule de Patissot, elle murmura :

"Comme on est bien ! comme il fait bon sur l'eau !"

Patissot, en effet, nageait dans le bonheur ; et il pensait à ces canotiers stupides, qui, sans jamais sentir le charme pénétrant des berges et la grâce frêle des roseaux, vont toujours, essoufflés, suant et abrutis d'exercice, du caboulot où l'on déjeune au caboulot où l'on dîne.

Mais, à force d'être bien, il s'endormit. Quand il se réveilla... il était seul. Il appela d'abord ; personne ne répondit. Inquiet, il monta sur la rive, craignant déjà qu'un malheur ne fût arrivé.

Alors, tout là-bas, et venant vers lui, il vit une yole mince, et longue que quatre rameurs pareils à des nègres faisaient filer, ainsi qu'une flèche. Elle approchait, courant sur l'eau : une femme tenait la barre... Ciel !... on dirait... C'était elle !... Pour régler le