Page:Maupassant - Œuvres posthumes, II, OC, Conard, 1910.djvu/77

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réservées à l'autre. Ainsi, pour prendre un cas extrême, une excitation spéciale peut faire donner du lait aux mamelles des hommes ; on a vu, pendant des famines, des petits enfants privés de leur mère être sauvés de cette façon . Nous ne mettons pourtant pas cette faculté d'avoir du lait au nombre des attributs du mâle. De même, l'intelligence féminine qui, dans certains cas, donnera des produits supérieurs, doit être négligée dans l'estimation de la nature féminine, en tant que facteur social..."

M. Patissot, blessé dans tous ses instincts chevaleresques originels, déclara :

"Vous n'êtes pas Français, Monsieur. La galanterie française est une des formes du patriotisme."

M. Rade releva la balle.

"J'ai fort peu de patriotisme, Monsieur, le moins possible."

Un froid se répandit, mais il continua tranquillement :

"Admettez-vous avec moi que la guerre soit une chose monstrueuse ; que cette coutume d'égorgement des peuples constitue un état permanent de sauvagerie ; qu'il soit odieux, alors que le seul bien réel est "la vie", de voir les gouvernements, dont le devoir est de protéger l'existence de leurs sujets, chercher avec obstination des moyens de destruction ? Oui, n'est-ce pas. - Eh bien, si la guerre est une chose horrible, le patriotisme ne serait-il pas l'idée mère qui l'entretient ? Quand un assassin tue, il a une pensée, c'est de voler. Quand un brave homme, à coups de baïonnette, crève un autre honnête homme, père de famille ou grand artiste peut-être, à quelle pensée obéit-il ?..."

Tout le monde se sentait profondément blessé.