Page:Maupassant - Bel-Ami, OC, Conard, 1910.djvu/369

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debout à l’entrée de la ville sur ses deux jambes monstrueuses, sorte de géant informe qui semblait prêt à se mettre en marche pour descendre la large avenue ouverte devant lui.

Georges et Madeleine se retrouvaient là dans le défilé des voitures ramenant au logis, au lit désiré, l’éternel couple, silencieux et enlacé. Il semblait que l’humanité tout entière glissait à côté d’eux, grise de joie, de plaisir, de bonheur.

La jeune femme, qui avait bien pressenti quelque chose de ce qui se passait en son mari, demanda de sa voix douce :

— À quoi songes-tu, mon ami ? Depuis une demi-heure tu n’as point prononcé une parole.

Il répondit en ricanant :

— Je songe à tous ces imbéciles qui s’embrassent, et je me dis que, vraiment, on a autre chose à faire dans l’existence.

Elle murmura :

— Oui… mais c’est bon quelquefois.

— C’est bon… c’est bon… quand on n’a rien de mieux !

La pensée de Georges allait toujours, dévêtant la vie de sa robe de poésie, dans une sorte de rage méchante : « Je serais bien bête de me gêner, de me priver de quoi que ce soit, de me troubler, de me tracasser, de me