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Page:Maupassant - Boule de suif, 1902.djvu/88

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l’ami patience

Je me rappelais, en effet, cette noce ; et ce souvenir m’égaya. D’autres faits me revinrent à la mémoire, d’autres encore ; nous disions :

— Dis donc, et cette fois où nous avons enfermé le pion dans la cave du père Latoque ?

Et il riait, tapait du poing sur la table, reprenait :

— Oui… oui… oui…, et te rappelles-tu la gueule du professeur de géographie, M. Marin, quand nous avons fait partir un pétard dans la mappemonde, au moment où il pérorait sur les principaux volcans du globe ?

Mais, brusquement, je lui demandai :

— Et toi, es-tu marié ?

Il cria :

— Depuis dix ans, mon cher, et j’ai quatre enfants, des mioches étonnants. Mais tu les verras avec la mère.

Nous parlions fort ; les voisins se retournaient pour nous considérer avec étonnement.

Tout à coup, mon ami regarda l’heure à sa montre, un chronomètre gros comme une citrouille, et il cria :

— Tonnerre, c’est embêtant, mais il faut que je te quitte ; le soir, je ne suis pas libre.

Il se leva, me prit les deux mains, les secoua comme s’il voulait m’arracher les bras et prononça :

— À demain, midi, c’est entendu !

— C’est entendu.

Je passai la matinée à travailler chez le trésorier-payeur général. Il voulait me retenir à déjeuner, mais j’annonçai que j’avais rendez-vous chez un ami. Devant sortir, il m’accompagna.