Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/108

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elle n’osait point recommencer si tôt. Pourquoi y retournait-elle ? Ah ! pourquoi ? Parce qu’elle en avait pris l’habitude, et qu’elle n’avait aucune raison à donner à ce malheureux Martelet quand il voudrait connaître ce pourquoi ! Pourquoi avait-elle commencé ? Pourquoi ? Elle ne le savait plus ! L’avait-elle aimé ? C’était possible ! Pas bien fort mais un peu, voilà si longtemps ! Il était bien, recherché, élégant, galant, et représentait strictement, au premier coup d’œil, l’amant parfait d’une femme du monde. La cour avait duré trois mois — temps normal, lutte honorable, résistance suffisante — puis elle avait consenti, avec quelle émotion, quelle crispation, quelle peur horrible et charmante à ce premier rendez-vous, suivi de tant d’autres, dans ce petit entresol de garçon, rue de Miromesnil. Son cœur ? Qu’éprouvait alors son petit cœur de femme séduite, vaincue, conquise, en passant pour la première fois la porte de cette maison de cauchemar ? Vrai, elle ne le savait plus ! Elle l’avait oublié ! On se souvient d’un fait, d’une date, d’une chose, mais on ne se souvient guère, deux ans plus tard, d’une émotion qui s’est envolée très vite, parce qu’elle était très légère. Oh ! par exemple, elle n’avait pas oublié les autres, ce chapelet de rendez-vous, ce chemin de la croix de l’amour, aux stations si fatigantes, si monotones, si pareilles, que la nausée lui montait aux lèvres en prévision de ce que ce serait tout à l’heure.

Dieu ! ces fiacres qu’il fallait appeler pour aller là, ils ne ressemblaient pas aux autres fiacres, dont on se sert pour les courses ordinaires ! Certes, les cochers devinaient. Elle le sentait rien qu’à la façon dont ils la regardaient, et