Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/184

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« Prenez un siège, je suis à vous dans un instant », se rassit et recommença sa discussion.

Les paysans ne comprenaient point ses explications, le receveur ne comprenait pas leurs raisonnements ; il parlait français, les autres parlaient breton, et le commis qui servait d’interprète ne semblait comprendre personne.

Ce fut long, très long. Varajou considérait son beau-frère en songeant : « Quel crétin ! » Padoie devait avoir près de cinquante ans ; il était grand, maigre, osseux, lent, velu, avec des sourcils en arcade qui faisaient sur ses yeux deux voûtes de poils. Coiffé d’un bonnet de velours orné d’un feston d’or, il regardait avec mollesse, comme il faisait tout. Sa parole, son geste, sa pensée, tout était mou. Varajou se répétait : « Quel crétin ! »

Il était, lui, un de ces braillards tapageurs pour qui la vie n’a pas de plus grands plaisirs que le café et la fille publique. En dehors de ces deux pôles de l’existence, il ne comprenait rien. Hâbleur, bruyant, plein de dédain pour tout le monde, il méprisait l’univers entier du haut de son ignorance. Quand il avait dit : « Nom d’un chien, quelle fête ! » il avait certes exprimé le plus haut degré d’admiration dont fût capable son esprit.

Padoie, ayant enfin éloigné ses paysans, demanda :

— Vous allez bien ?

— Pas mal, comme vous voyez. Et vous ?

— Assez bien, merci. C’est très aimable d’avoir pensé à venir nous voir.

— Oh ! j’y songeais depuis longtemps ; mais, vous savez, dans le métier militaire, on n’a pas grande liberté.

— Oh ! je sais, je sais ; n’importe, c’est très aimable.