Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/85

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Et tous les voiles blancs qui flottaient sur leurs chapeaux blancs avaient l’air des drapeaux de leur suffisance.

Les jeunes misses plates, dont les chaussures aussi rappelaient les constructions navales de leur patrie, serrant en des châles multicolores leur taille droite et leurs bras minces, souriaient vaguement au radieux paysage. Leurs petites têtes, poussées au bout de ces longs corps, portaient des chapeaux anglais d’une forme étrange, et, derrière leurs crânes, leurs maigres chevelures enroulées ressemblaient à des couleuvres lofées.

Et les vieilles misses, encore plus grêles, ouvrant au vent leur mâchoire nationale, paraissaient menacer l’espace de leurs dents jaunes et démesurées.

On sentait, en passant près d’elles, une odeur de caoutchouc et d’eau dentifrice.

Sidoine répéta, avec une colère grandissante :

— Les sales gens ! On ne pourra donc pas les empêcher de venir en France ?

Je demandai en souriant :

— Pourquoi leur en veux-tu ? Quant à moi, ils me sont parfaitement indifférents.

Il prononça :

— Oui, toi, parbleu ! Mais moi, j’ai épousé une Anglaise. Voilà.

Je m’arrêtai pour lui rire au nez.

— Ah ! diable. Conte-moi ça. Et elle te rend donc très malheureux ?

Il haussa les épaules :

— Non, pas précisément.