Page:Maupassant - Boule de suif.djvu/86

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— Alors… elle te… elle te… trompe ?

— Malheureusement non. Ça me ferait une cause de divorce et j’en serais débarrassé.

— Alors je ne comprends pas !

— Tu ne comprends pas ? Ça ne m’étonne point. Eh bien, elle a tout simplement appris le français, pas autre chose ! Écoute :

Je n’avais pas le moindre désir de me marier, quand je vins passer l’été à Étretat, voici deux ans. Rien de plus dangereux que les villes d’eaux. On ne se figure pas combien les fillettes y sont à leur avantage. Paris sied aux femmes et la campagne aux jeunes filles.

Les promenades à ânes, les bains du matin, les déjeuners sur l’herbe, autant de pièges à mariage. Et, vraiment, il n’y a rien de plus gentil qu’une enfant de dix-huit ans qui court à travers un champ ou qui ramasse des fleurs le long d’un chemin.

Je fis la connaissance d’une famille anglaise descendue au même hôtel que moi. Le père ressemblait aux hommes que tu vois là, et la mère à toutes les Anglaises.

Il y avait deux fils, de ces garçons tout en os, qui jouent du matin au soir à des jeux violents, avec des balles, des massues ou des raquettes ; puis deux filles, l’aînée, une sèche, encore une Anglaise de boîte à conserve ; la cadette, une merveille. Une blonde, ou plutôt une blondine avec une tête venue du ciel. Quand elles se mettent à être jolies, les gredines, elles sont divines. Celle-là avait des yeux bleus, de ces yeux bleus qui semblent contenir toute la poésie, tout le rêve, toute l’espérance, tout le bonheur du monde !