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le pardon

passe dans les environs, le scandale vient mourir au seuil de la maison. Seuls, le père et la mère, un soir, échangent quelques mots là-dessus, mais à mi-voix, à cause des murs qui ont partout des oreilles. Et, discrètement, le père dit :

— Tu as su cette terrible affaire dans la famille des Rivoil ?

Et la mère répond :

— Qui aurait jamais cru cela ? C’est affreux.

Les enfants ne se doutent de rien, et ils arrivent à l’âge de vivre à leur tour, avec un bandeau sur les yeux et sur l’esprit, sans soupçonner les dessous de l’existence, sans savoir qu’on ne pense pas comme on parle, et qu’on ne parle point comme on agit ; sans savoir qu’il faut vivre en guerre avec tout le monde, ou du moins en paix armée, sans deviner qu’on est sans cesse trompé quand on est naïf, joué quand on est sincère, maltraité quand on est bon.

Les uns vont jusqu’à la mort dans cet aveuglement de probité, de loyauté, d’honneur ; tellement intègres que rien ne leur ouvre les yeux.

Les autres, désabusés sans bien comprendre, trébuchent éperdus, désespérés, et meurent en se