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Page:Maupassant - Conte de la bécasse, 1906.djvu/276

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saint-antoine

Le père Antoine, devenu pâle, regarda son Prussien. C’était un gros garçon à la chair grasse et blanche, aux yeux bleus, au poil blond, barbu jusqu’aux pommettes, qui semblait idiot, timide et bon enfant. Le Normand malin le pénétra tout de suite, et, rassuré, lui fit signe de s’asseoir. Puis il lui demanda : « Voulez-vous de la soupe ? »

L’étranger ne comprit pas. Antoine alors eut un coup d’audace, et, lui poussant sous le nez une assiette pleine : « Tiens, avale ça, gros cochon. »

Le soldat répondit : « Ya » et se mit à manger goulûment pendant que le fermier, triomphant, sentant sa réputation reconquise, clignait de l’œil à ses serviteurs qui grimaçaient étrangement, ayant en même temps grand’peur et envie de rire.

Quand le Prussien eut englouti son assiettée, Saint-Antoine lui en servit une autre qu’il fit disparaître également ; mais il recula devant la troisième, que le fermier voulait lui faire manger de force, en répétant : « Allons fous-toi ça dans le ventre. T’engraisseras ou tu diras pourquoi, va, mon cochon ! »

Et le soldat, comprenant seulement qu’on vou-