Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/17

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— Un Américain que je ne connais pas.

— Avez-vous consenti pour la Chanteuse des rues ?

— Oui. Dix mille.

— Vous avez bien fait. C’était gentil, mais pas exceptionnel. Adieu, cher.

Elle tendit alors sa joue, qu’il effleura d’un calme baiser ; et elle disparut sous la portière, après avoir dit, à mi-voix :

— Vendredi, huit heures. Je ne veux point que vous me reconduisiez. Vous le savez bien. Adieu.

Quand elle fut partie, il ralluma d’abord une cigarette, puis se mit à marcher à pas lents à travers son atelier. Tout le passé de cette liaison se déroulait devant lui. Il se rappelait les détails lointains disparus, les recherchait en les enchaînant l’un à l’autre, s’intéressait tout seul à cette chasse aux souvenirs.

C’était au moment où il venait de se lever comme un astre sur l’horizon du Paris artiste, alors que les peintres avaient accaparé toute la faveur du public et peuplaient un quartier d’hôtels magnifiques gagnés en quelques coups de pinceau.

Bertin, après son retour de Rome, en 1864, était demeuré quelques années sans succès et sans renom ; puis soudain, en 1868, il exposa sa Cléopâtre et fut en quelques jours porté aux nues par la critique et le public.