Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/234

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Alors, levant lentement ses deux mains, elle prit celles du peintre et les garda, puis, comme si chaque mot l’eût déchirée :

— Prenez garde, mon ami, vous allez vous éprendre de ma fille.

Il retira brusquement ses mains, et, avec une vivacité d’innocent qui se débat contre une prévention honteuse, avec des gestes vifs, une animation grandissante, il se défendit en l’accusant à son tour, elle, de l’avoir ainsi soupçonné.

Elle le laissa parler longtemps, obstinément incrédule, sûre de ce qu’elle avait dit, puis elle reprit :

— Mais je ne vous soupçonne pas, mon ami. Vous ignorez ce qui se passe en vous comme je l’ignorais moi-même ce matin. Vous me traitez comme si je vous accusais d’avoir voulu séduire Annette. Oh, non ! oh, non ! Je sais combien vous êtes loyal, digne de toute estime et de toute confiance. Je vous prie seulement, je vous supplie de regarder au fond de votre cœur si l’affection que vous commencez à avoir, malgré vous, pour ma fille, n’a pas un caractère un peu différent d’une simple amitié.

Il se fâcha, et s’agitant de plus en plus, se mit à plaider de nouveau sa loyauté, comme il avait fait, tout seul, dans la rue, en venant.

Elle attendit qu’il eût fini ses phrases ; puis, sans