Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/51

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Il sentait qu’entre eux se faisait un lent travail de rapprochement, et que dans les regards de la comtesse quelque chose d’étrange, de contraint, de douloureusement doux, apparaissait, cet appel d’une âme qui lutte, d’une volonté qui défaille et qui semble dire : « Mais, force-moi donc ! »

Au bout de quelque temps, elle revint seule, rassurée par sa réserve. Alors il la traita en amie, en camarade, lui parla de sa vie, de ses projets, de son art, comme à un frère.

Séduite par cet abandon, elle prit avec joie ce rôle de conseillère, flattée qu’il la distinguât ainsi des autres femmes et convaincue que son talent gagnerait de la délicatesse à cette intimité intellectuelle. Mais à force de la consulter et de lui montrer de la déférence, il la fit passer, naturellement, des fonctions de conseillère au sacerdoce d’inspiratrice. Elle trouva charmant d’étendre ainsi son influence sur le grand homme, et consentit à peu près à ce qu’il l’aimât en artiste, puisqu’elle inspirait ses œuvres.

Ce fut un soir, après une longue causerie sur les maîtresses des peintres illustres, qu’elle se laissa glisser dans ses bras. Elle y resta, cette fois, sans essayer de fuir, et lui rendit ses baisers.

Alors, elle n’eut plus de remords, mais le vague sentiment d’une déchéance, et pour répondre aux reproches de sa raison, elle crut à une fatalité.