Page:Maupassant - Fort comme la mort.djvu/75

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grosse personne, avait dans la poitrine de petites secousses discrètes. Elle dit enfin :

— Non, vraiment, c’est trop drôle, vous me ferez mourir de rire.

Bertin, très excité, riposta :

— Oh ! Madame, dans le monde on ne meurt pas de rire. C’est à peine si on rit. On a la complaisance, par bon goût, d’avoir l’air de s’amuser et de faire semblant de rire. On imite assez bien la grimace, on ne fait jamais la chose. Allez dans les théâtres populaires, vous verrez rire. Allez chez les bourgeois qui s’amusent, vous verrez rire jusqu’à la suffocation ! Allez dans les chambrées de soldats, vous verrez des hommes étranglés, les yeux pleins de larmes, se tordre sur leur lit devant les farces d’un loustic. Mais dans nos salons on ne rit pas. Je vous dis qu’on fait le simulacre de tout, même du rire.

Musadieu l’arrêta :

— Permettez ; vous êtes sévère ! Vous-même, mon cher, il me semble pourtant que vous ne dédaignez pas ce monde que vous raillez si bien.

Bertin sourit.

— Moi, je l’aime.

— Mais alors ?

— Je me méprise un peu comme un métis de race douteuse.

— Tout cela, c’est de la pose, dit la duchesse.