Page:Maupassant - L’Inutile Beauté, OC, Conard, 1908.djvu/213

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— On a tort, monsieur, de prononcer à côté du mien le nom de Mme de Fleurel. Quand je suis revenu de la guerre, sans mes pieds, hélas ! je n’aurais jamais accepté, jamais, qu’elle devînt ma femme. Est-ce que c’était possible ? Quand on se marie, monsieur, ce n’est pas pour faire parade de générosité : c’est pour vivre, tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes, toutes les secondes, à côté d’un homme ; et, si cet homme est difforme comme moi, on se condamne, en l’épousant, à une souffrance qui durera jusqu’à la mort ! Oh ! je comprends, j’admire tous les sacrifices, tous les dévouements, quand ils ont une limite, mais je n’admets pas le renoncement d’une femme à toute une vie qu’elle espère heureuse, à toutes les joies, à tous les rêves, pour satisfaire l’admiration de la galerie. Quand j’entends sur le plancher de ma chambre le battement de mes pilons et celui de mes béquilles, ce bruit de moulin que je fais à chaque pas, j’ai des exaspérations à étrangler mon serviteur. Croyez-vous qu’on puisse accepter d’une femme de tolérer ce qu’on ne supporte pas soi-même ? Et puis, vous imaginez-vous que c’est joli, mes bouts de jambes ?… »