Page:Maupassant - L’Inutile Beauté, OC, Conard, 1908.djvu/84

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misère de la chair de l’homme qui n’a jamais fini d’oublier, et un cruel écho de la torture qu’il avait subie, mais plus encore peut-être, puisqu’elle était morte, un tressaillement de ce délirant et court bonheur de jeunesse dont rien maintenant ne restait plus que la plaie de son souvenir.

Le jeune homme répondit :

— Oui, monsieur le curé, ma mère est morte.

— Y a-t-il longtemps ?

— Oui, trois ans déjà.

Un doute nouveau envahit le prêtre.

— Et comment n’êtes-vous pas venu me trouver plus tôt ?

L’autre hésita.

— Je n’ai pas pu. J’ai eu des empêchements… Mais, pardonnez-moi d’interrompre ces confidences que je vous ferai plus tard, aussi détaillées qu’il vous plaira, pour vous dire que je n’ai rien mangé depuis hier matin.

Une secousse de pitié ébranla tout le vieillard, et, tendant brusquement les deux mains :

— Oh ! mon pauvre enfant, dit-il.

Le jeune homme reçut ces grandes mains tendues, qui enveloppèrent ses doigts, plus minces, tièdes et fiévreux.