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LA MAIN GAUCHE.

le large silence des ténèbres, passaient, vite étouffes, le claquement d’un corps tombant dans la rivière, quelques cris, un clapotement d’eau battue avec des mains. Ce n’était parfois aussi que le clouf de leur chute, quand ils s’étaient lié les bras ou attaché une pierre aux pieds.

Oh ! les pauvres gens, les pauvres gens, les pauvres gens, comme j’ai senti leurs angoisses, comme je suis mort de leur mort ! J’ai passé par toutes leurs misères ; j’ai subi, en une heure, toutes leurs tortures. J’ai su tous les chagrins qui les ont conduits là ; car je sens l’infamie trompeuse de la vie, comme personne, plus que moi, ne l’a sentie.

Comme je les ai compris, ceux qui, faibles, harcelés par la malechance, ayant perdu les êtres aimés, réveillés du rêve d’une récompense tardive, de l’illusion d’une autre existence où Dieu serait juste enfin, après avoir été féroce, et désabusés des mirages du bonheur, en ont assez et veulent finir ce drame sans trêve ou cette honteuse comédie.

Le suicide ! mais c’est la force de ceux qui n’en ont plus, c’est l’espoir de ceux qui ne croient plus, c’est le sublime courage des vaincus ! Oui, il y a au moins une porte à cette