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Page:Maupassant - La Main gauche, OC, Conard, 1910.djvu/247

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L’ENDORMEUSE.

vie, nous pouvons toujours l’ouvrir et passer de l’autre côté. La nature a eu un mouvement de pitié ; elle ne nous a pas emprisonnés. Merci pour les désespérés !

Quant aux simples désabusés, qu’ils marchent devant eux l’âme libre et le cœur tranquille. Ils n’ont rien à craindre, puisqu’ils peuvent s’en aller ; puisque derrière eux est toujours cette porte que les dieux rêvés ne peuvent même fermer.

Je songeais à cette foule de morts volontaires : plus de huit mille cinq cents en une année. Et il me semblait qu’ils s’étaient réunis pour jeter au monde une prière, pour crier un vœu, pour demander quelque chose, réalisable plus tard, quand on comprendra mieux. Il me semblait que tous ces suppliciés, ces égorgés, ces empoisonnés, ces pendus, ces asphyxiés, ces noyés, s’en venaient, horde effroyable, comme des citoyens qui votent, dire à la société : « Accordez-nous au moins une mort douce ! Aidez-nous à mourir, vous qui ne nous avez pas aidés à vivre ! Voyez, nous sommes nombreux, nous avons le droit de parler, en ces jours de liberté, d’indépendance philosophique et de suffrage populaire. Faites à ceux qui renoncent à vivre l’aumône