Page:Maupassant - La pitié, paru dans Le Gaulois, 22 décembre 1881.djvu/3

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déformées par des travaux trop durs, geignant, râlant dans les rudes montées, sous les coups de lanière et de manche de fouet. C’est le cheval. Et nous trouvons naturel l’horrible sort de cette lamentable bête parce que du matin au soir sa souffrance nous est utile. Nous passons, le cœur tranquille, devant ces régiments de squelettes attachés à ces boîtes en sapin nommées fiacres ; nous contribuons, par les gros pourboires pour les courses rapides, à hâter l’agonie de ce forçat du brancard. Et, quand nous voyons ces victimes de notre odieuse indifférence abattues sur le pavé, soufflant d’angoisse, l’œil navrant, les jambes inertes, nous nous arrêtons à regarder comme devant un spectacle plein d’intérêt. Eh bien, puisqu’il se trouve des gens pour demander une loi contre les vivisecteurs, ne s’en trouve-t-il pas d’autres qui demanderont, réclameront, au nom de la pitié pour les bêtes que nous sacrifions férocement à nos besoins, que tout cheval ait droit à un mois de prairie chaque année, comme les employés ont droit au dimanche ?

Cela va paraître absurde. Ça ne l’est pas autant que cet attendrissement déplacé pour des chiens qui sont moins martyrisés dans les laboratoires que les