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CORRESPONDANCE

lisait avec une telle attention, une telle passion, dirai-je, qu’il ne leva pas une fois les yeux sur moi. Je fus un peu choquée ; et je demandai au maître baigneur, sans paraître y prendre garde, le nom de ce monsieur. En moi je riais un peu de ce liseur de rimes ; il me semblait attardé, pour un homme. C’est là, pensai-je, un naïf. Eh bien, ma tante, à présent, je raffole de mon inconnu. Figure-toi qu’il s’appelle Sully Prudhomme. Je retournai m’asseoir auprès de lui pour le considérer tout à mon aise. Sa figure a surtout un grand caractère de tranquillité et de finesse. Quelqu’un étant venu le trouver, j’entendis sa voix qui est douce, presque timide. Celui-là, certes, ne doit pas crier de grossièretés en public, ni heurter des femmes sans s’excuser. Il doit être un délicat, mais un délicat presque maladif, un vibrant. Je tâcherai, cet hiver, qu’il me soit présenté.

Je ne sais plus rien, ma chère tante, et je vous quitte en hâte, l’heure de la poste me pressant. Je baise vos mains et vos joues.

Votre nièce dévouée,

Berthe de X…