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LE GATEAU

seule brioche, dont Mme Anserre faisait les honneurs à l’Académie et qui passait ensuite dans le salon de l’Agriculture.

Or, cette brioche fut bientôt, pour l’Académie, un sujet d’observation des plus curieuses. Mme Anserre ne la découpait jamais elle-même. Ce rôle revenait toujours à l’un ou l’autre des illustres invités. Cette fonction particulière, spécialement honorable et recherchée, durait plus ou moins longtemps pour chacun : tantôt trois mois, rarement plus ; et l’on remarqua que le privilège de « découper la brioche » semblait entraîner avec lui une foule d’autres supériorités, une sorte de royauté ou plutôt de vice-royauté très accentuée.

Le découpeur régnant avait le verbe plus haut, un ton de commandement marqué ; et toutes les faveurs de la maîtresse de maison étaient pour lui, toutes.

On appelait ces heureux dans l’intimité, à mi-voix, derrière les portes, les « favoris de la brioche », et chaque changement de favori amenait dans l’Académie une sorte de révolution. Le couteau était un sceptre, la pâtisserie un emblème ; on félicitait les élus. Les laboureurs