Page:Maupassant - Les Sœurs Rondoli.djvu/104

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j’aimerai toujours trop toutes les autres. Je voudrais avoir mille bras, mille lèvres et mille… tempéraments pour pouvoir étreindre en même temps une armée de ces êtres charmants et sans importance.

Et cependant je me marie.

J’ajoute que je connais guère ma femme de demain. Je l’ai vue seulement quatre ou cinq fois. Je sais qu’elle ne me déplaît point ; cela me suffit pour ce que j’en veux faire. Elle est petite, blonde et grasse. Après demain, je désirerai ardemment une femme grande, brune et mince.

Elle n’est pas riche. Elle appartient à une famille moyenne. C’est une jeune fille comme on en trouve à la grosse, bonnes à marier, sans qualités et sans défauts apparents, dans la bourgeoisie ordinaire. On dit d’elle : « Mlle Lajolle est bien gentille. » On dira demain : « Elle est fort gentille, Mme Raymon. » Elle appartient enfin à la légion des jeunes filles honnêtes « dont on est heureux de faire sa femme » jusqu’au jour où on découvre qu’on préfère justement toutes les autres femmes à celle qu’on a choisie.

Alors pourquoi me marier, diras-tu ?

J’ose à peine t’avouer l’étrange et invraisemblable raison qui me pousse à cet acte insensé.