Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/110

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Tout le monde était indigné ! On ne riait plus, et on contemplait avec envie le paralytique. Chaque baigneur aurait volontiers saisi une pioche pour se creuser un trou à côté de celui du vagabond.

Mais Andermatt prit par le bras l’ingénieur et ils s’éloignèrent en causant. De temps en temps Aubry-Pasteur s’arrêtait, semblait tracer une ligne avec sa canne, indiquait des points ; et le banquier écrivait des notes sur son calepin.

Christiane et Paul Brétigny s’étaient mis à parler. Il lui racontait son voyage en Auvergne ; ce qu’il avait vu, et senti. Il aimait la campagne avec ses instincts ardents où transperçait toujours de l’animalité. Il l’aimait en sensuel qu’elle émeut, dont elle fait vibrer les nerfs et les organes.

Il disait :

— Moi, madame, il me semble que je suis ouvert ; et tout entre en moi, tout me traverse, me fait pleurer ou grincer des dents. Tenez, quand je regarde cette côte-là en face, ce grand pli vert, ce peuple d’arbres qui grimpe la montagne, j’ai tout le bois dans les yeux ; il me pénètre, m’envahit, coule dans mon sang ; et il me semble aussi que je le mange, qu’il m’emplit le ventre ; je deviens un bois moi-même !