Page:Maupassant - Mont-Oriol, éd. Conard, 1910.djvu/335

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habit de mendiant. Et puis la mort, la mort bienfaisante à trois pas de l’herbe du fossé, où la traîne, en jurant, un homme qui passe, pour dégager la route.

Christiane, pour la première fois, comprit la misère des créatures esclaves ; et la mort aussi lui apparut comme une chose bien bonne par moments.

Tout à coup ils passèrent devant une petite charrette qu’un homme presque nu, une femme en guenilles et un chien décharné traînaient, exténués de fatigue.

On les voyait suer et haleter. Le chien, la langue tirée, maigre et galeux, était attaché entre les roues. Dans cette charrette, du bois ramassé partout, volé sans doute, des racines, des souches, des branchages brisés qui semblaient cacher d’autres choses ; puis, sur ces branches, des loques et, sur ces loques, un enfant, rien qu’une tête sortant de haillons gris, une boule ronde avec deux yeux, un nez, une bouche !

C’était une famille, cela, une famille humaine ! L’âne avait succombé aux fatigues, et l’homme, sans pitié pour le serviteur mort, sans le pousser même jusqu’à l’ornière, l’avait laissé en plein chemin, devant les voitures qui viendraient. Puis, s’attelantà son tour avec sa femme dans les brancards vides, ils s’étaient