Page:Maupassant - Mont-Oriol, 1887.djvu/162

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— J’aurai une proposition à vous faire, quelque chose d’épatant pour votre affaire.

Soudain le docteur Bonnefille parut, pressé selon sa coutume. Il passa tout près de Will, et, le saluant très bas comme il faisait pour le marquis, il lui dit :

— Bon voyage, monsieur le Baron.

— Touché, murmura Gontran.

Andermatt, triomphant, gonflé de joie et d’orgueil, serrait les mains, remerciait, répétait : « Au revoir ! » Mais il faillit oublier d’embrasser sa femme, tant il pensait à autre chose. Cette indifférence fut pour elle un soulagement, et quand elle vit le landau s’éloigner sur la route obscurcie, au grand trot des deux chevaux, il lui sembla qu’elle n’avait plus rien à redouter de personne pour le reste de sa vie.

Elle passa toute la soirée assise devant l’hôtel, entre son père et Paul Brétigny, Gontran étant parti au Casino, comme il faisait chaque jour.

Elle ne voulait ni marcher, ni parler, et restait immobile, les mains croisées sur son genou, les yeux perdus dans l’obscurité, alanguie et faible, un peu inquiète et heureuse pourtant, pensant à peine, ne rêvant même pas, luttant par moments contre de vagues remords qu’elle repoussait en se répétant : « Je l’aime, je l’aime, je l’aime ! »

Elle monta de bonne heure dans sa chambre, pour être seule et songer. Assise au fond d’un fauteuil et enveloppée d’un peignoir flottant, elle regardait les étoiles par sa fenêtre restée ouverte ; et dans le cadre de cette fenêtre, elle évoquait à toute