Page:Maupassant - Mont-Oriol, 1887.djvu/163

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minute l’image de celui qui venait de la conquérir. Elle le voyait, bon, doux et violent, si fort et si soumis devant elle. Cet homme l’avait prise, elle le sentait, prise pour toujours. Elle n’était plus seule, ils étaient deux dont les deux cœurs ne formeraient plus qu’un cœur, dont les deux âmes ne formeraient plus qu’une âme. Où était-il, elle ne le savait pas ; mais elle savait bien qu’il rêvait d’elle comme elle pensait à lui. A chaque battement de son cœur, elle croyait entendre un autre battement qui répondait quelque part. Elle sentait, autour d’elle, rôder un désir qui l’effleurait comme une aile d’oiseau ; elle le sentait entrer par cette fenêtre ouverte, ce désir venu de lui, ce désir ardent, qui la cherchait, qui l’implorait dans le silence de la nuit. Comme c’était bon, doux, nouveau d’être aimée ! Quelle joie de penser à quelqu’un avec une envie de pleurer dans les yeux, de pleurer d’attendrissement, et une envie aussi d’ouvrir les bras, même sans le voir, pour l’appeler, d’ouvrir les bras vers son image apparue, vers ce baiser qu’il lui jetait sans cesse, de loin ou de près, dans la fièvre de son attente.

Et elle tendait vers les étoiles ses deux bras blancs dans les manches du peignoir. Soudain, elle poussa un cri. Une grande ombre noire, enjambant son balcon, avait surgi dans sa fenêtre.

Éperdue, elle se dressa ! C’était lui ! Et sans songer même qu’on pouvait les voir, elle se jeta sur sa poitrine.