Page:Maupassant - Mont-Oriol, 1887.djvu/357

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fit plus que divaguer doucement jusqu’au jour. Elle s’assoupit alors et finit par dormir. Quand elle se réveilla, vers deux heures de l’après-midi, la fièvre la brûlait encore, mais sa raison lui était revenue.

Jusqu’au lendemain, cependant, sa pensée demeura engourdie, un peu indécise, fuyante. Elle ne trouvait pas tout de suite les mots dont elle avait besoin et se fatiguait affreusement à les chercher.

Mais, après une nuit de repos, elle reprit complètement la possession d’elle-même.

Cependant elle se sentait changée, comme si cette crise eût modifié son âme. Elle souffrait moins et songeait davantage. Les événements terribles, si proches, lui paraissaient reculés dans un passé déjà lointain, et elle les regardait avec une clarté d’idées dont son esprit n’avait encore jamais été éclairé. Cette lumière, qui l’avait envahie soudain, et qui illumine certains êtres en certaines heures de souffrance, lui montrait la vie, les hommes, les choses, la terre entière avec tout ce qu’elle porte comme elle ne les avait jamais vus.

Alors, plus même que le soir où elle s’était sentie tellement seule au monde dans sa chambre en revenant du lac de Tazenat, elle se jugea totalement abandonnée dans l’existence. Elle comprit que tous les hommes marchent côte à côte, à travers les événements, sans que jamais rien unisse vraiment deux êtres ensemble. Elle sentit, par la trahison de celui en qui elle avait mis toute sa confiance, que les autres, tous les autres ne seraient jamais