Page:Maupassant - Souvenir (extrait de Gil Blas, édition du 1882-02-16).djvu/6

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parvenions dans la nuit à faire les douze lieues qui nous séparaient de la ville ; ou bien si la division française était éloignée, plus d’espoir !

On ne pouvait marcher le jour, la campagne étant pleine de Prussiens.

À cinq heures il faisait nuit ; cette nuit blafarde des neiges. Les muets flocons blancs tombaient, tombaient, ensevelissaient tout dans ce grand drap gelé, qui s’épaississait toujours sous l’innombrable foule et l’incessante accumulation des vaporeux morceaux de cette ouate de cristal.

À six heures le détachement se remit en route.

Quatre hommes marchaient en éclaireurs, seuls, à trois cents mètres en avant. Puis, venait un peloton de dix hommes que commandait un lieutenant, puis le reste de la troupe, en bloc, pêle-mêle, au hasard des fatigues et de la longueur des pas. À quatre cents mètres sur nos flancs, quelques soldats allaient deux par deux.

La blanche poussière descendant des nuages nous vêtait entièrement, ne fondait plus sur les képis ni sur les capotes, faisait de nous des fantômes, comme les spectres de soldats morts.

Parfois on se reposait quelques minutes. Alors on n’entendait plus que ce glissement vague de la neige qui tombe, cette rumeur presque insaisissable que fait