Page:Maupassant - Souvenir (extrait de Gil Blas, édition du 1882-02-16).djvu/9

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vêtements de soldat, se trouva soulevée par six bras robustes qui l’emportèrent.

On repartit, comme si on eût bu un coup de vin, plus gaillardement, plus joyeusement. Des plaisanteries couraient même, et cette gaieté s’éveillait que la présence d’une femme redonne toujours au sang français.

Les soldats maintenant marchaient au pas, fredonnaient des sonneries, réchauffés soudain. Et un vieux franc-tireur, qui suivait la litière, attendant son tour pour remplacer le premier camarade qui flancherait, ouvrit son cœur à son voisin. « Je n’ suis pus jeune, moi, et bien, cré coquin, l’ sexe, y a tout d’ même que ça pour vous flanquer du cœur au ventre. »

Jusqu’à trois heures du matin on avança presque sans repos ; mais, brusquement, pareil à un souffle, le commandement : « Halte ! » fut de nouveau chuchoté. Puis, presque par instinct, tout le monde s’aplatit par terre.

Là-bas, au milieu de la plaine, quelque chose remuait. Cela semblait courir, et comme la neige ne tombait plus, on distinguait vaguement, très loin encore, une apparence de monstre qui s’allongeait ainsi qu’un serpent, puis, soudain, paraissait se rapetisser, se ramasser en boule, s’étendre de nouveau en prenant des élans rapides et s’arrêtait encore, et repartait sans cesse.

Des ordres murmurés couraient parmi les hommes étendus ; et, de temps en