Page:Maupassant - Souvenir (extrait de Gil Blas, édition du 1882-02-16).djvu/8

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ont fusillé trois gardes et pendu le jardinier. Moi, j’ai eu peur pour la petite.

— Où allez-vous ?

— À Blainville.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il y a là, dit-on, une armée française.

— Vous connaissez le chemin ?

— Parfaitement.

— Cela suffit, restez à mon côté.

Et la marche à travers champs recommença. Le vieillard silencieux suivait le capitaine. Sa fille se traînait près de lui. Tout à coup elle s’arrêta.

— Père, dit-elle, je suis si fatiguée que je n’irai pas plus loin.

Et elle tomba. Elle tremblait de froid, et paraissait prête à mourir. Son père voulut la porter. Il ne put même pas la soulever.

Le capitaine tapait du pied, jurait, furieux et apitoyé. « Nom de Dieu, je ne peux pourtant pas vous laisser crever là ! »

Mais quelques hommes s’étaient éloignés ; ils revinrent avec des branches coupées. Alors, en une minute, une litière fut faite.

Le capitaine s’attendrit : « Nom de Dieu ! c’est gentil, ça. Allons, les enfants, qui est-ce qui prête sa capote maintenant ? C’est pour une femme, nom de Dieu ! »

Vingt capotes furent détachées d’un coup et jetées sur la litière. En une seconde la jeune fille, enveloppée dans ces chauds