Page:Maupassant - Sur l'eau, 1888.djvu/24

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m’inviter, m’emmener, m’opprimer avec des sourires, me harceler de politesses. Je suis seul, vraiment seul, vraiment libre. Elle court, la fumée du train sur le rivage ! Moi je flotte dans un logis ailé qui se balance, joli comme un oiseau, petit comme un nid, plus doux qu’un hamac et qui erre sur l’eau, au gré du vent, sans tenir à rien. J’ai pour me servir et me promener deux matelots qui m’obéissent, quelques livres à lire et des vivres pour quinze jours. Quinze jours sans parler, quelle joie !

Je fermais les yeux sous la chaleur du soleil, savourant le repos profond de la mer, quand Bernard dit à mi-voix :

— Le brick a de l’air, là-bas.

Là-bas, en effet, très loin en face d’Agay, un brick vient vers nous. Je vois très bien avec la jumelle, ses voiles rondes pleines de vent.

— Bah ! C’est le courant d’Agay, répond Raymond, il fait calme sur le cap Roux.

— Cause toujours, nous aurons du vent d’ouest, répond Bernard.