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histoire du vieux temps.


L’âge, de ces douceurs, avait tari la source ;
On était moins ingambe et l’on jeûnait souvent.
Quand un parfum de chasse apporté par le vent
Le frappe, un éclair brille en sa vieille prunelle.
Il aperçoit, dormant et la tête sous l’aile,
Quelques jeunes poulets perchés sur un vieux mur.
Mais renard est bien lourd et le chemin peu sûr,
Et malgré son envie, et sa faim, et son jeûne :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons… pour un plus jeune. »

le comte.

Marquise, c’est méchant, ce que vous dites là ;
Mais je vous répondrai : Samson et Dalila,
Antoine et Cléopâtre, Hercule aux pieds d’Omphale.



la marquise.

Vous avez en amour une triste morale !

le comte

Non ; l’homme est comme un fruit que Dieu sépare en deux.
l marche par le monde ; et, pour qu’il soit heureux,
Il faut qu’il ait trouvé, dans sa course incertaine,
L’autre moitié de lui ; mais le hasard le mène ;
Le hasard est aveugle et seul conduit ses pas ;
Aussi presque toujours, il ne la trouve pas.
Pourtant, quand d’aventure il la rencontre…, il aime ;
Et vous étiez, je crois, la moitié de moi-même
Que Dieu me destinait et que je cherchais, mais
Je ne vous trouvai pas, et je n’aimai jamais.
Puis voilà qu’aujourd’hui, nos routes terminées,
Le sort unit, trop tard, nos vieilles destinées.