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avec cet œil mouillé, désespéré, si charmant et si triste qui montre toute la douleur d’un cœur de femme, et elle balbutia : — Je n’ai… je n’ai rien à dire… je n’ai… rien à faire… Tu… tu as raison… tu… tu… as bien choisi ce qu’il te fallait…

Et s’étant dégagée d’un mouvement en arrière, elle s’en alla, sans qu’il tentât de la retenir plus longtemps.

Demeuré seul, il se releva, étourdi comme s’il avait reçu un horion sur la tête ; puis prenant son parti, il murmura : — Ma foi, tant pis ou tant mieux. Ça y est… sans scène. J’aime autant ça. — Et, soulagé d’un poids énorme, se sentant tout à coup libre, délivré, à l’aise pour sa vie nouvelle, il se mit à boxer contre le mur en lançant de grands coups de poing, dans une sorte d’ivresse de succès et de force, comme s’il se fût battu contre la Destinée.

Quand Mme Forestier lui demanda : — Vous avez prévenu Mme de Marelle ?

Il répondit avec tranquillité : — Mais oui…

Elle le fouillait de son œil clair.

— Et ça ne l’a pas émue ?

— Mais non, pas du tout. Elle a trouvé ça très bien, au contraire.

La nouvelle fut bientôt connue. Les uns s’étonnèrent, d’autres prétendirent l’avoir prévu, d’autres encore sourirent en laissant entendre que ça ne les surprenait point.

Le jeune homme qui signait maintenant D. de Cantel ses chroniques, Duroy ses échos, et du Roy les articles politiques qu’il commençait à donner de temps en temps, passait la moitié des jours chez sa fiancée qui le traitait avec une familiarité fraternelle où entrait cependant une tendresse vraie mais cachée, une sorte de désir dissimulé