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cinquante : il alla déjeuner au bouillon Duval. Puis il rôda sur le boulevard ; et comme trois heures sonnaient, il monta l’escalier-réclame de la Vie Française.

Les garçons de bureau, assis sur une banquette, les bras croisés, attendaient, tandis que, derrière une sorte de petite chaire de professeur, un huissier classait la correspondance qui venait d’arriver. La mise en scène était parfaite, pour en imposer aux visiteurs. Tout le monde avait de la tenue, de l’allure, de la dignité, du chic, comme il convenait dans l’antichambre d’un grand journal.

Duroy demanda : — M. Walter, s’il vous plaît ?

L’huissier répondit : — M. le directeur est en conférence. Si monsieur veut bien s’asseoir un peu.

Et il indiqua le salon d’attente, déjà plein de monde.

On voyait là des hommes graves, décorés, importants, et des hommes négligés, au linge invisible, dont la redingote, fermée jusqu’au col, portait sur la poitrine des dessins de taches rappelant les découpures des continents et des mers sur les cartes de géographie. Trois femmes étaient mêlées à ces gens. Une d’elles était jolie, souriante, parée, et avait l’air d’une cocotte ; sa voisine, au masque tragique, ridée, parée aussi d’une façon sévère, portait en elle ce quelque chose de fripé, d’artificiel qu’ont, en général, les anciennes actrices, une sorte de fausse jeunesse éventée, comme un parfum d’amour ranci.

La troisième femme, en deuil, se tenait dans un coin, avec une allure de veuve désolée. Duroy pensa qu’elle venait demander l’aumône.

Cependant on ne faisait entrer personne, et plus de vingt minutes s’étaient écoulées.

Alors Duroy eut une idée, et, retournant trouver l’huissier : — M. Walter m’a donné rendez-vous à trois heures,