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Il s’arrêta en voyant un homme. Mme Forestier parut gênée une seconde, puis elle dit, de sa voix naturelle, bien qu’un peu de rose lui fût monté des épaules au visage :

— Mais entrez donc, mon cher. Je vous présente un bon camarade de Charles, M. Georges Duroy, un futur journaliste.

Puis, sur un ton différent, elle annonça : — Le meilleur et le plus intime de nos amis, le comte de Vaudrec.

Les deux hommes se saluèrent en se regardant au fond des yeux, et Duroy tout aussitôt se retira.

On ne le retint pas. Il balbutia quelques remerciements, serra la main tendue de la jeune femme, s’inclina encore devant le nouveau venu, qui gardait un visage froid et sérieux d’homme du monde, et il sortit tout à fait troublé, comme s’il venait de commettre une sottise.

En se retrouvant dans la rue, il se sentit triste, mal à l’aise, obsédé par l’obscure sensation d’un chagrin voilé. Il allait devant lui, se demandant pourquoi cette mélancolie subite lui était venue ; il ne trouvait point, mais la figure sévère du comte de Vaudrec, un peu vieux déjà, avec des cheveux gris, l’air tranquille et insolent d’un particulier très riche et sûr de lui, revenait sans cesse dans son souvenir.

Et il s’aperçut que l’arrivée de cet inconnu, brisant un tête-à-tête charmant où son cœur s’accoutumait déjà, avait fait passer en lui cette impression de froid et de désespérance qu’une parole entendue, une misère entrevue, les moindres choses parfois suffisent à nous donner.

Et il lui semblait aussi que cet homme, sans qu’il devinât pourquoi, avait été mécontent de le trouver là.

Il n’avait plus rien à faire jusqu’à trois heures ; et il n’était pas encore midi. Il lui restait en poche six francs