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le soleil

Lorrain ? « Il n’avait jamais peint avec le soleil dans le dos ». c’est-à-dire face aux objets éclairés. Turner, sans doute, était un précurseur, un éblouissant romantique ; mais il n’avait jamais, lui non plus, placé son chevalet en plein midi pour prendre directement un effet de soleil cru. Les Impressionnistes nous avaient, en tout cas, bien réellement révélé une sensibilité nouvelle, et une méthode pour traduire par des contrastes de teintes des audaces de lumière assez éclatantes. À l’époque dont je parle, les peintres du Salon, qui les avaient longtemps méprisés, leur empruntaient le facile secret des contrastes et de ces teintes claires, voire quelques-uns de leurs procédés d’exécution ; on ne voyait plus que des tableaux « lumineux » et des ombres violettes. Même, au concours de Rome, un des concurrents, M.  Eliot, fit scandale en présentant une Nausicaa toute fleurie de mauves et d’orangés. La technique lumineuse se vulgarisait.

L’effort de Seurat et de Signac fut donc d’en préparer l’évolution en en fixant scientifiquement les principes et la théorie. Ce turent des réformateurs qui sauvaient l’orthodoxie.

Il est regrettable que le Salon d’Automne, auquel nous devons de si curieuses initiatives, n’ait pu encore nous montrer un ensemble d’œuvres néo-impressionnistes. La comparaison eût été intéressante, par exemple, avec cette monotone exposition de 1904, où figurèrent des œuvres de Maufra, Loiseau, Moret, etc., — les « Durand-Ruel « ; — ou encore avec les « Matisse » de cette année.

C’est qu’en effet à côté du système savant, mais limité, des néo-impressionnistes, le culte pittoresque du Soleil avait suscité d’autres méthodes moins raisonnées, plus subjectives, entre lesquelles le lyrisme d’un Vincent Van Gogh éclate avec une fougue et une exaltation singulières. Lorsque les Indépendants, il y a deux ans, réunirent face à face l’œuvre de Seurat et l’œuvre de Van Gogh, on put juger l’extraordinaire divergence de ces deux arts exactement contemporains : d’un côté de froids soleils, décolorés, livides, d’un charme et d’une douceur de nuances incomparables, supérieurement harmonisés, composés selon des rythmes parfaits dans le plus strict équilibre ; de l’autre une ronde échevelée