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LE SOLEIL[1]

La notion du Soleil évolue. C’est, depuis Monet, le dieu de la peinture moderne ; les Impressionnistes furent ses premiers fidèles ; les Néo-Impressionnistes, plus tard, instituèrent en son honneur toute une liturgie. Or, voici que dans cette liturgie s’introduisent des rites nouveaux et que, de plus en plus, le dogme d’origine savante emprunté par Seurat et Signac aux doctrines optiques de Chevreul devient suspect à la majorité des jaunes ; il cesse de s’imposer à leur impatience de toute règle, à leur insatiable besoin de subjectivité ; et c’est parce qu’il ne satisfait plus les enthousiasmes de néophytes exaltés qu’il périt, pourrait-on dire, victime de son propre mysticisme.

C’était vers 1885, à l’époque des premières expositions des Indépendants. Les Impressionnistes commençaient d’exercer une influence, on ne pouvait plus nier l’immense talent de Claude Monet, dont toute l’œuvre est un perpétuel cantique à la louange du Soleil, comme ses Séries en sont les litanies. Il semblait qu’avant les Impressionnistes la Peinture eût ignoré les joies de la lumière : toutes leurs qualités d’art s’effaçaient devant cette découverte qu’on leur attribuait. Je me souviens d’avoir discuté là-dessus avec Pissarro : je lui disais que j’avais vu au Musée de Sienne qu’un certain Giovanni da Paolo avait, dès le xve siècle, représenté le soleil par des fonds d’or sur lesquels s’allongeaient de longues ombres grises. (J’ai vu depuis, sur les murs de Pompéi, des paysages ensoleillés avec des ombres bleues sur des architectures.) Mais Pissarro n’admettait pas qu’on lui déniât, à lui et à ses camarades, le mérite de la découverte. Claude

  1. L’Ermitage, 15 décembre 1906.