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le soleil

de rayons ivres, un bourdonnement de couleurs exaspérées, toutes les fantasmagories, tous les vertiges de la lumière ; des moyens capricieux et divers, une exécution tumultueuse ; en somme, je l’ai dit déjà ici même, une œuvre géniale, parfois belle, mais d’un périlleux exemple.

Il arriva donc que, plus confiants dans les suggestions de leur propre goût que dans les formules scientifiques des artistes, des chercheurs se mirent à traduire la lumière par des moyens moins paradoxaux, que ceux de Vincent, mais tout aussi empiriques ; et par exemple, ils contestèrent la valeur de ce perpétuel contraste de jaune clair ou d’orangé pâle et de violet, et s’affranchirent de la superstition des complémentaires. On vit récemment, chez Bernheim, des panneaux décoratifs de Vuillard où la sensation du soleil résultait d’un conflit de valeurs, du contraste aigu de deux tons presque neutres, mais de gammes très différentes. Roussel tenta de représenter, avec un peu de fusain écrasé sur du papier gris et quelques notes de craie, le soleil de Provence. Ce sont là des symptômes d’un nouvel état d’esprit. Mais le plus significatif, c’est à coup sûr l’exposition des « Matisse » que montre cette année le Salon d’Automne entre les noirs Courbet et la salle vraiment vénitienne de Gauguin »

Les « Matisse » — il est bien entendu que Matisse lui-même et quelques-uns de ses disciples, comme Friesz, sont doués d’une remarquable sensibilité — rivalisent d’éclat et s’efforcent de créer de la lumière. Ce qu’ils nous restituent du Soleil, c’est le trouble rétinien, le frisson optique, te pénible sensation d’éblouissement, le vertige que donne en plein midi d’été un mur blanc ou une esplanade. Leur esthétique permet qu’ils tentent de nous aveugler. Ils ne reculent devant aucune crudité d’éclairage et, pour le rendre, devant aucune cruauté de couleur. Des touches multicolores sur un fond de toile blanche, une tache, un trait, un rien de couleur pure suffisent à signifier toutes les brutalités de la lumière solaire. Que nous sommes loin des Plages du Nord ou des Bords de la Seine de Seurat ! Que les Meules de Monet étaient sages ! Mais ce qu’il faut remarquer surtout, c’est à quel point le procédé — je ne dis pas technique, c’est trop évident, mais optique — est différent. Outre l’extrême sim-