Page:Maurice Denis Théories (1890-1910)-1920.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
263
DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

les nouveaux venus ajoutaient la gaucherie d’exécution et la simplification presque caricaturale de la forme : et c’était là le symbolisme. Nous sommes maintenant blasés sur ce genre de hardiesse, et le public y est fait ; mais il les confondait alors avec celle des Incohérents et des cabarets de Montmartre. L’affiche et les petits journaux illustrés ont popularisé ces énormes fantaisies de dessin, ces exagérations du caractère, alors inédites et fort inconnues de l’antique Grévin, de Willette ou même de Chéret dont les inventions élégantes commençaient alors de fleurir sur les murs de Paris. Les synthèses des décorateurs japonais ne suffisaient pas à alimenter notre besoin de simplification. Idoles primitives ou extrême-orientales, calvaires bretons, images d’Épinal, figures de tapisseries et de vitraux, tout cela se mélangeait à des souvenirs de Daumier, au style gauchement poussinesque des Baigneuses de Cézanne, aux lourdes paysanneries de Pissarro. Qui a été témoin du mouvement en 1890 ne s’étonne plus : les efforts les plus saugrenus, les plus incompréhensibles de ceux qu’on appelle maintenant les « fauves » ne peuvent qu’éveiller dans notre mémoire le souvenir des extravagances de notre génération. Pour connaître l’émoi, le vertige de l’inattendu, il faut avoir vu le café Volpini à l’exposition de 1889. Là, dans un coin retiré de la grande Foire, loin des arts officiels et des chefs-d’œuvre accumulés aux Rétrospectives, étaient piteusement accrochés les premiers Gauguin, les Bernard, les Anquetin, etc., réunis pour la première fois. C’était à coup sûr une des curiosités les plus hilarantes de l’Exposition, et c’en serait une aujourd’hui encore, malgré la différence du public, que les œuvres de Willumsen ou de Razetti exposées quelques années plus tard au pavillon de la Ville de Paris (Indépendants).

Les critiques nous reprochaient à cette époque de vouloir rebalbutier. En effet, nous retournions à l’enfance, nous faisions la bête, et c’était alors sans doute ce qu’il y avait de plus intelligent à mire. Notre art était un art de sauvages, de primitifs. Le mouvement de 1890 procédait à la fois d’un état d’extrême décadence et d’une fermentation de renouveau. C’était le moment où le nageur qui plonge touche le fond solide, et remonte.