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DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

Sans doute, la bourrasque de 1890 avait été préparée. Ces artistes dont l’apparition fit scandale étaient des produits de leur temps et de leur milieu : il serait injuste de les isoler de leurs aînés les impressionnistes : en particulier il semble que l’influence de Camille Pissarro fut sur eux considérable. On ne saurait d’ailleurs leur reprocher d’avoir méconnu leurs prédécesseurs immédiats ; et ils ont manifesté dès leurs débuts la plus grande estime pour ceux qui les avaient mis dans la voie : non seulement Camille Pissarro et Cézanne, et Degas, et Odilon Redon, mais encore Puvis de Chavannes dont la gloire officielle aurait pu cependant déplaire à leur jeune intransigeance.

C’était donc l’aboutissement nécessaire — action et réaction tout ensemble — du grand mouvement impressionniste. On a tout dit sur ce sujet : l’absence de toute règle, la nullité de l’enseignement académique, le triomphe du naturalisme, l’influence des Japonais, avaient déterminé l’éclosion joyeuse d’un art apparemment affranchi de toute contrainte. Des motifs nouveaux, le soleil et les éclairages artificiels et tout le pittoresque de la vie moderne avaient été admis dans le domaine de l’art. La littérature mêlait aux vulgarités du réalisme finissant les raffinements du Symbolisme ; la « tranche de vie » était servie toute crue ; en même temps l’amour aristocratique du mot rare, de l’état d’âme inédit et de l’obscurité dans la poésie, exaspérait le lyrisme des jeunes écrivains. Ce que nous demandions à Cézanne, à Gauguin et à Van Gogh, ils le trouvaient chez Verlaine, chez Mallarmé, chez Laforgue : « De toute part, disait Albert Aurier dans l’article-manifeste de la Revue Encyclopédique, on revendique le droit au rêve, le droit aux pâturages de l’azur, le droit à l’envolement vers les étoiles niées de l’absolue vérité. La copie myope des anecdotes sociales, l’imitation imbécile des verrues de la nature, la plate observation, le trompe-l’œil, la gloire d’être aussi fidèlement, aussi banalement exact que le daguerréotype ne contente plus aucun peintre, aucun sculpteur digne de ce nom[1] ». Les musiciens, moins nihilistes que les peintres,

  1. Revue Encyclopédique, 1892.