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le renoncement de carrière

le fait de l’indigence du métier. Il faudrait l’appeler le virtuose moderne, a dit M.  J. Blanche, qui s’y connaît. C’est pour avoir observé la savante facilité des ébauches d’autrefois qu’il en est arrivé à tout exprimer par quelques taches bien construites qui émergent lumineuses de la fluidité du fond. Avec quelle adresse il savait relier par des dessous liquides à des formes secondaires et délibérément sacrifiées, les touches plus solides qui déterminent les formes principales ! C’est en clignant des yeux, je pense, comme on fait à l’école, qu’il obtenait ces magistrales simplifications. Ce prétendu révolutionnaire a su par la seule qualité de son émotion tirer de moyens banals d’admirables effets.. Son art est révélateur de la puissance de l’âme.

II

Décidément, la peinture est quelque chose qui doit être surpassé. Parce que trop de critiques autrefois la confondaient avec la littérature et ne jugeaient dans un tableau que les intentions du sujet écrit, ou le plus ou moins de ressemblance entre l’objet peint et l’objet représenté, on s’est insurgé, avec quelle raison ! contre la peinture littéraire, contre la niaiserie naturaliste. Il s’en faut qu’il faille cependant exalter uniquement les qualités matérielles de l’œuvre d’art et mépriser les qualités de l’homme qui s’en sert pour s’exprimer. L’artiste est à lui-même son véritable sujet. Restreindre l’art à traduire une sensation d’un moment, c’est, sous couleur de sincérité, une forme d’abdication de soi, aussi fâcheuse que celle qui consiste à raconter froidement une anecdote ou à paraphraser un sujet littéraire. Mais ne chercher dans la peinture, comme on tend à le faire de plus en plus, que le plaisir sensuel des yeux, ne la vouloir que décorative, c’est ignorer la part que prend l’âme humaine aux satisfactions esthétiques, c’est faire de la psychologie de primaire, c’est soumettre une des plus complexes opérations de l’esprit à d’inexactes catégories. Qu’importe dans une œuvre d’art la vérité ou la fantaisie, le sujet littéraire ou l’absence de sujet, si je n’y retrouve pas