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le soleil

plicité de l’exécution, observons que rien ne reste de la théorie impressionniste. C’est le chromatisme avec toutes ses nuances, ses sautes de tonalités, ses dissonances, ses oppositions de couleurs pures et de gris neutres qui se substituent à l’emploi de la vieille gamme diatonique de Chevreul.

Tous les caprices de l’intervention individuelle se donnent désormais libre cours. Il semble que cette anarchie se manifeste avec d’autant plus de variété que le dogmatique néo-impressionniste était plus précis et plus ordonné. La grande tentative de reconstruction d’un art nouveau, basé sur la science et qui allait jusqu’à déterminer avec Ch. Henry le sens des formes, à proposer un criterium mathématique de beauté ; qui soumettait à des lois fixes, inexorables, de contrastes de ton et de teintes, tous les effets possibles de la nature ; l’essai d’une réglementation scientifique de l’art destinée en somme à restituer en faveur de l’artiste moderne isolé et désemparé le secours de l’expérience d’autrui, et à lui procurer cette sorte de réconfort que trouvaient les artistes d’autrefois avec la certitude, dans la tradition et la communauté de foi esthétique ; ce grand effort aboutit à la réaction d’empirisme et d’agnosticisme que nous constatons aujourd’hui.

L’erreur des uns et des autres, notre erreur à tous, ç’a été de chercher avant tout la lumière. Il fallait chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice, c’est-à-dire l’expression de notre âme en Beauté, et le reste nous eût été donné par surcroît. Il n’est pas important de rendre ou de ne pas rendre l’éclat véritable du soleil, de lutter avec lui de luminosité : les pigments que nous employons et qu’on eut le grand tort d’assimiler aux couleurs du spectre, ne sont que des boues colorées, qui ne restitueront jamais la grande lumière du soleil. Ce qui importe, c’est qu’un tableau constitue une harmonie de couleurs. La décoloration où nous entraîne fatalement la recherche de la lumière n’a-t-elle pas appauvri la peinture moderne ? Un Vénitien somptueux et sombre, avec ses mille rapports et son unité, n’est-il pas plus satisfaisant que nos tableaux pâles et acides, lesquels ne sont le plus souvent en somme qu’échantillonnage de tons purs avec mélange de blanc ? La peinture vénitienne ne contient-elle