Page:Maurice Denis Théories (1890-1910)-1920.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
DE GAUGUIN ET DE VAN GOGH AU CLASSICISME

mais comme eux préoccupés de plus de liberté individuelle et de plus d’expression, subissaient à la fois l’influence du romantisme wagnérien, du pittoresque russe et de la musique pure que leur révélaient César Franck, Bach et les contrapuntistes du xvie siècle.

Tout fermentait. Mais enfin il faut bien dire que dans les arts plastiques, l’idée d’art d’abord limitée à l’idée de copie, ne s’appuyait sur rien d’autre que sur le préjugé naturaliste du tempérament, ou mieux, de la sensation individuelle. Ils voient comme ça, disait la critique. Nous portions à son comble le mépris des conventions, sans autre parti pris que celui de nier : le droit de tout faire ne connaissait nulle restriction. C’est l’excès de cette anarchie qui amena comme réaction l’esprit de système et le goût des théories. Seurat fut le premier qui essaya de substituer à l’improvisation, plus ou moins fantaisiste, d’après la nature, une méthode de travail réfléchi. Il chercha à mettre de l’ordre, à créer la nouvelle doctrine que tout le monde attendait. Il eut le mérite de tenter la réglementation de l’impressionnisme. La hâte avec laquelle il tirait des conclusions techniques ou esthétiques de certaines théories de Chevreul ou de Charles Henry, ou de ses propres tentatives, a fait de son œuvre, trop tôt, hélas ! interrompue, une expérience tronquée. Quelque admirable qu’ait été ce premier effort contre la liberté, c’est un fait que malgré l’intelligence, la persévérance et le talent du collaborateur de Seurat, Paul Signac, il n’a pas eu de répercussion profonde ; tandis que le synthétisme et tous les partis pris de Gauguin et de Van Gogh ont eu une influence considérable sur les jeunes peintres en France, en Allemagne et jusqu’aux extrémités de l’Europe.

Van Gogh et Gauguin résument avec éclat cette époque de confusion et de Renaissance. À côté de l’impressionnisme scientifique de Seurat, ils représentent la barbarie, la révolution et la fièvre — et finalement la sagesse. Leur effort au début échappe à toutes les classifications : et leurs théories